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Death Stranding - Une (pas si) brève analyse

  • Photo du rédacteur: Fabien Naimon
    Fabien Naimon
  • 3 sept. 2023
  • 18 min de lecture

Dernière mise à jour : 13 oct. 2023



En préambule, je préfère avertir que les spoils seront légion au sein de cette analyse.


Quand on parle d'analyse de jeu vidéo il est très facile de se perdre parmi les nombreux sites qui proposent d'analyser une œuvre pour savoir si elle vous correspond, ou non. Les fameux tableaux "pro/cons", les notes finales, les "on a aimé" et les "on a moins aimé"...


Tous ces paramètres permettent de définir si un jeu va plaire ou non à un certain type de public, et c'est extrêmement utile pour savoir si l'argent en vaut la chandelle.

Mais il y a certaines œuvres qui échappent à ces classements parfois trop normalisés, trop codifiés.


Cette analyse n'a pas pour but de "prouver" que le jeu est bon, ou ne l'est pas. Elle n'a pas pour but de décortiquer chaque système mis en place et comment le joueur va les utiliser, il y a des articles détaillés qui en parlent déjà un peu partout sur internet, et peut-être que cela fera l'objet d'un prochain article d'ailleurs. Le but de cette review est de prendre un peu de recul par rapport au propos global qu'a proposé le jeu, et du recul que nous avons pu prendre par rapport à celui-ci, a force d'analyses diverses et d'échanges.


Death Stranding (qui sera abrégé DS pour faciliter la lecture de cet article) fait partie de ces jeux qui sortent du lot, deviennent autre chose qu'un simple jeu vidéo et vont au-delà de leur média, pour offrir une expérience unique, dont on se souvient longtemps.



L'environnement pour adversaire


Dans DS, nous incarnons un "porter", un livreur. Notre mission est de "reconnecter l'Amérique" après un cataclysme planétaire connu sous le nom de death stranding. Au travers des yeux de Sam Porter Bridges (oui, il a même le nom qui va avec) nous allons parcourir les USA dans les grandes largeurs pour reconnecter des petites poches de civilisations qui ont su se préserver des dangers extérieurs, et les reconnecter une à une au travers d'un réseau planétaire, appelé réseau Chiral.

Sam est ce qu'on appelle un rapatrié, atteint du DOOM. Il possède la faculté d'être ramené d'entre les morts et d'être pleinement conscient de son lien avec l'au-delà. Pour une explication plus poussée du concept je vous renvoie au wiki officiel du jeu juste ici : Death Stranding Wiki


Le Death Stranding ayant tout emporté sur son passage et détruit absolument toute forme de vie, il est logique que l'environnement que vous allez explorer soit vide. A part les personnages que vous allez rencontrer, et dont vous ne verrez que les hologrammes pour la plupart, il n'y a aucune forme de vie organique présente dont vous ferrez la rencontre lors de vos pérégrinations. Les hologrammes sont également une critique acide de la société moderne, où les êtres humains se fuient, et ne se voient qu'au travers d'écrans, mais c'est un propos assez évident.


Le prétexte du cataclysme global est uniquement présent pour justifier du voyage de notre cher Sam. Il est également là pour mettre en place plusieurs autres éléments inhérents au gameplay, les mécaniques d'infiltration, les ennemis, les boss, les objets/colis à ramasser etc


Quand on joue à DS, ce qui frappe en premier, c'est la façon dont on contrôle notre personnage principal, Sam. Il est lourd, lent, il met du temps à réagir, il se cogne, chute, trébuche ... On sent qu'il va nous falloir du temps pour apprivoiser ses déplacements.

Et puis, vient le moment, après l'introduction, où l'on doit effectuer nos premières livraisons. Nos colis sont bien répartis sur notre sac (on y reviendra), et il est temps de faire nos premiers pas.


Marcher dans DS c'est comme réapprendre à marcher dans la vraie vie, et exactement comme dans l'introduction, comme quoi le jeu ne va pas nous faciliter la tâche. On chute, on trébuche, on tombe ... Et on comprend pourquoi.


L'environnement est votre ennemi. Il a spécifiquement été créé pour être votre (presque) pire ennemi. Et par "environnement" je veux bien entendu dire absolument TOUT ce qui peut se rapporter au monde extérieur avec lequel le joueur va interagir.


Un ruisseau à traverser ? Attention à ce que l'eau de vous monte pas au dessus des genoux, sinon, c'est la chute !

Une grosse pierre à enjamber ? Il ne faudrait tout de même pas glisser sur la mousse verte qui y est collée ...

Une pente à descendre ? Attention à la glissade ...


Fort heureusement, un outil d'analyse topographique est présent pour vous aider à comprendre votre environnement, et faciliter votre progression.

Cet outil, c'est l'Odradek, une sorte de bras mécanique accroché à votre épaule qui vous servira de "scanner", aussi bien pour vous déplacer que pour repérer les ennemis et d'autres éléments.

En scannant votre environnement régulièrement vous pourrez repérer les chemins et les endroits faciles d'accès.

Egalement, les conditions météorologiques sont de la partie pour appliquer un calque de difficulté supplémentaire. S'il pleut, le terrain sera rendu glissant, et les déplacements seront encore plus difficile. La pluie à également le rôle d'avertissement concernant les échoués, que vous devrez soit éviter, soit confronter directement.

Elle endommage vos colis, et "fait passer le temps plus vite", ce qui accélère la détérioration des cargaisons, des véhicules et des objets laissés au sol. Des abris sont disponibles à la construction pour attendre que la pluie passe, mais cela fait également partie des gros défauts du jeu. La pluie est active à certains endroits, et ne s'arrête jamais véritablement ...

Les conditions météo de chaque zone sont consultables en direct au travers du menu pause en cours de jeu.

La carte est extrêmement précise, et différents filtres peuvent être ajoutés ou retirés en fonction de votre façon d'appréhender le jeu.


Le système de déplacement de DS a été pensé pour vous faire ressentir tout le poids de ce que vous portez sur vos épaules. Non seulement celui de vos colis, mais également celui de la responsabilité.


Chacun des pas menant vers votre objectif renforce l'impression que votre mission a du sens. Les marchandises que vous livrez sont toutes plus ou moins importantes. Vous devrez parfois livrer des médicaments dans un temps donné, et c'est à ce moment-là, lorsque la vie d'un personnage est en jeu, que les préparations de sortie prennent tout leur sens.


Vous aurez également la possibilité d'influer sur votre environnement, et de le façonner, de le modeler à votre convenance, tout en restant dans les limites imposées par les développeurs.

Des constructions sont à votre disposition pour rendre votre voyage plus agréable, et également celui des autres joueurs. Parce que oui, il y a du multijoueur dans DS. Un multijoueur asynchrone, certes, mais bel et bien présent, même si soumis à certaines limitations techniques.

Par exemple, si vous décidez de construire une route à partir d'un terminal, il vous faudra disposer de ressources, sous la forme de minerais à récolter dans l'environnement et/ou à recycler depuis les bases principales. Une fois le terminal alimenté avec suffisamment de ressources, un tronçon de route sera créé et suivra un chemin prédéfini.


Une autre feature intéressante est celle des chemins empruntés. Lorsque vous marchez, et effectuez des allers-retours très souvent à un même endroit, le chemin que vous avez parcouru se modifie, l'herbe se tasse, la terre apparaît sous la mousse, et s'assèche, rendant votre trajet plus simple, mais celui des autres joueurs également.


A noter que chaque structure, élément que vous créez, ou que vous croisez, chaque chemin tracé, pourra bénéficier de likes que vous attribuerez à l'envi. N'oubliez pas le petit pouce !


Mais le petit plus de ce système, c'est que si vous n'avez pas assez de ressources à insérer dans le terminal, vous pouvez laisser un autre joueur (que vous ne verrez jamais en même temps que vous, soyons clairs) le faire à votre place. Vous serez donc plusieurs à participer à la construction d'une seule route, qui aidera tous les joueurs présents sur votre serveur.


Encore une fois, vous ne verrez jamais ces joueurs, et votre seul moyen d'interaction sera par l'intermédiaire de panneaux de signalisation à disséminer un peu partout pour signaler les endroits dangereux, les ennemis non loin, les points clés, et transférant des colis via les différentes boîtes communes disponibles (et aussi constructibles) dans le jeu.


Qui dit routes dit également véhicules, car il y a deux façons d'explorer et de traverser les environnements.

La première, qui vous sera imposée en début de jeu, se fait à pied. La deuxième, que vous débloquerez lorsque vous aurez suffisamment progressé, se fera soit à moto, soit en camion.

Ces deux véhicules permettront de redécouvrir les maps déjà explorées une première fois, mais d'une autre façon. Plus rapide, plus optimisée, plus organisée, et aussi plus communautaire (toutes les routes ne seront pas construites par vous).


Le principe du traversal, d'un point de vue strictement game design désigne la façon dont vous allez parcourir un environnement donné. Dans DS, le traversal change complètement au fur et à mesure de votre progression.


Les outils donnés par le jeu modifient votre perception de l'environnement, pas ce qu'il est intrinsèquement, car il ne change pas fondamentalement. Vous construisez des routes, et "creusez" un chemin qui vous permet de vous y sentir plus à l'aise, certes, mais les montagnes sont toujours là, les ennemis aussi, les mêmes contraintes sont présentes. Mais vous ne le voyez plus de la même façon quand vous le parcourez en véhicule, que lorsque vous l'avez vu à pied la première fois.


D'un point de vue strictement level design, il y a plusieurs types de terrain que vous traverserez au cours de votre aventure. Chaque terrain possède ses propres caractéristiques, et influeront sur votre personnage selon certains paramètres bien déterminés :

  • Terrain herbeux — La surface la moins agressive pour le joueur, la plus plate et sans danger.

  • Terrain rocheux — Cause des dommages d'usure à vos bottes et vous forcera donc à posséder une paire de rechange, ou à trouver de l'herbe à pied sur le chemin.

  • Terrain rocheux de grande envergure (montagnes ou falaises) — Drainera votre endurance très rapidement étant donné le dénivelé et vous obligera à utiliser des outils tels que des échelles, des cordes, etc ...

  • Rivières peu profondes, lentes/rapides — Ralenti le joueur et draine son endurance. Idem, utilisation d'outils si vous voulez vous faciliter la vie.

  • Rivières profondes, lentes/rapides — Identiques aux rivières peu profondes mais le joueur peut se noyer et donc mourir. Les outils sont quasiment indispensables pour les traverser.


Ces différents terrains et leurs combinaisons donnent lieu à des situations de jeu et de traversal différentes, qui impactent le joueur, vous, d'une multitude de façons. Toujours en restant dans l'angle level design, on peut utiliser ces "outils" que sont les conditions environnementales pour challenger le joueur et tester sa compréhension des systèmes.


L'environnement est vivant. Il est en soi un élément extrêmement important, qui va influer directement sur l'état d'esprit du joueur. S'il choisit de l'apprivoiser, et de s'unir à lui pour faciliter sa progression, alors les récompenses seront à la hauteur. On commence à comprendre la notion de connexion, et à l'appréhender lorsqu'on comprend que la première forme de connexion est avec le décor que l'on va traverser.


Petite parenthèse, nous avons beaucoup parlé des "outils" que nous pouvions utiliser dans le jeu, cela renvoie à un concept plus profond, celui du bâton et de la corde. Il y a beaucoup d'analyses à ce sujet qui entrent en profondeur dans le raisonnement, je vous invite à aller les lire c'est très intéressant, mais c'est un point que nous n'aborderons pas ici.


C'est à partir de maintenant, et après ce descriptif plus que bref (oui, c'est bref, vu la densité des systèmes il faudrait des dizaines de pages pour tout détailler) et des mécaniques de jeu que nous allons rentrer dans le vif du sujet.



Un game design orienté autour de la gestion du poids


L'objectif principal du jeu est donc de livrer des colis. Au-delà du côté "inutile" que cela peut représenter au vu des enjeux qui se déroulent dans la narration, il nous est imposé de faire des livraisons de paquets à différents personnages qui auront tous une histoire à raconter à Sam.

Pour ce faire, un grand nombre de systèmes sont à notre disposition. Mais la gestion du poids et de l'équilibre de DS est une composante à part entière, en termes de gameplay, oui, mais également en termes de narration.


La physique du jeu est là pour nous rappeler à l'ordre au moindre faux pas (et ce n'est pas qu'une expression). Techniquement parlant, le moteur physique possède de gros défauts, notamment celui de supprimer totalement le poids des colis une fois que Sam monte sur une moto.

Cela supprime toute forme de challenge, et on aura beau se balader avec la tour de Pise sur le dos, une fois le véhicule enfourché, c'est comme si les colis n'existaient plus.

On peut également charger des cargaisons directement dans et sur les véhicules, mais cela inclut le fait d'avoir, soit trouvé un chemin facile d'accès jusqu'à notre objectif, soit d'avoir construit des routes qui y mènent directement. Car si vous laissez votre cargaison sur un véhicule, et que vous vous éloignez trop de ceux-ci, vos colis seront considérés comme perdus ...



Les colis doivent être parfaitement équilibrés sur notre dos en cas de déplacements à pieds, et même si une touche est disponible dans le menu de livraison pour arranger le tout automatiquement, une optimisation manuelle sera préférable à une gestion automatique.


Prenons par exemple, une livraison de pizza. Oui, on devra livrer des pizzas dans le jeu. Est-ce que cela vient renforcer le sentiment d'abandon subit par Sam ? Sûrement. Après tout, le monde est détruit, et notre responsabilité est de le reconstruire, et on nous envoie livrer des pizzas ? ... Avouez que vous ne vous sentez pas aidé.


Des conditions de livraisons doivent être respectée pour que celle-ci soit considérée comme réussie.

  • La pizza doit arriver en bon état (de mémoire, ne pas être endommagée au-delà de 70%)

  • Elle doit être stockée à l'horizontal en toutes circonstances.

Si on utilise la fonction de réorganisation automatique des marchandises, alors la pizza sera stockée telle que le système l'aura décidé. C'est un petit colis, plat, ne pesant pas très lourd, il sera donc accroché, en fonction de votre charge, à un endroit marqué comme étant "libre". Ce qui ne veut pas dire que les conditions de stockage seront respectées.


Cela peut donc être sur l'épaule, en bas du sac à dos, dans une poche ... le colis sera soit écrasé par la charge qu'il subira, soit stocké verticalement, auquel cas la mission sera déjà fortement compromise avant même d'avoir débuté.

Cette feature de réarrangement automatique n'est donc pas à utiliser n'importe comment, et si l'on n'a pas particulièrement fait attention en début de partie pour comprendre comment la gestion du poids et de l'équilibre impacte notre gameplay, alors on pourra passer totalement à côté.


De même, lorsqu'un trop grand nombre de colis est stocké de façon anarchique sur le sac à dos, l'équilibre de Sam s'en verra très fortement impacté, et par conséquent votre gameplay.

Une fois une certaine limite de poids atteinte, Sam sera lent, accablé par le poids de la charge qui pèse sur son dos. Il suffit que les colis soient mal équilibrés pour que Sam ne soit plus stable lors de ses déplacements, et comme nous l'avons vu plus haut, le terrain et l'environnement peuvent être très vicieux.


Disposez un colis très lourd tout en haut de votre sac à dos n'est pas une très bonne idée, vous perdrez l'équilibre régulièrement, passerez votre temps à vous rattraper. Et si vous rajoutez à ça la possibilité de croiser des ennemis, il faudra s'équiper en conséquence, rajouter des armes sur notre dos, des poches de sang (pour regagner des points de vie), bref, ça peut très vite devenir assez chaotique. D'où le fait de prendre son temps pour organiser ses sorties.


Video by : wildwalkerun


"You'll feel lost" - Solitude, distance, et aphenphosmphobia .


Nous avons brièvement analysé pourquoi l'environnement était un ennemi à part entière. Contre un ennemi dans un jeu vidéo, que fait-on ? On se bat. On élimine l'ennemi, on récolte de l'expérience, des objets, bref, on obtient une récompense, et on passe à la suite.

Mais la vraie question à poser est plutôt : Contre quoi nous battons nous ?


Et c'est tout le propos et l'intention de DS que de nous poser, indirectement cette question. Si on veut y répondre de façon très factuelle, nous pouvons dire "on se bat contre les échoués/ennemis/antagonistes pour reconnecter l'Amérique et que tout finisse bien".


Mais l'intention de base de DS, et de Hideo Kojima est de nous faire ressentir une solitude absolue. Un abandon total, un combat inutile perdu d'avance. Qui se traduit non seulement par le vide atroce des environnements et l'absence complète de toute forme de vie organique que nous pourrions y croiser, mais également par le fait que Sam est atteint d'aphenphosmphobia. Il ressent une peur panique du fait d'être touché, et tout au long de l'aventure, il devra lutter contre lui-même pour accepter, petit à petit, qu'un contact se créé entre lui et le monde.


Une connexion. Un contact. Un pont. Sam représente le "porteur" d'espoir, qui vise à reconnecter un mode fragmenté, à recréer un lien perdu.

N'est-il pas curieux qu'une telle responsabilité soit confiée (de force, soyons honnêtes) à celui qui en à le plus peur ?


Explorons la piste un peu plus avant. Pour reconnecter ce monde, Sam emportera avec lui un bien étrange "outil" qui n'en est pas vraiment un étant donné que c'est littéralement un bébé dans un bocal. Un BB, ou "Brise-Brouillard".

Ce BB est tout ce qu'il y a de plus vivant, c'est un être humain, enfermé dans un bocal (oui c'est glauque) mais qui possède la capacité de se "connecter" à l'au-delà, au monde des morts. Et donc de repérer les entités qui naviguent entre les deux mondes.

Ces mêmes entités représentée sous la forme d'échoués, les fameux ennemis du jeu. Lorsque vous en croisez, vous pouvez soit les éviter, soit les confronter et les déconnecter en coupant le cordon qui les relie au monde des vivants.


Ce BB est relié à Sam via un cordon ombilical qui lui permet de "sentir" les émotions du BB et de revivre ses souvenirs. Cela dit on peut légitimement se poser la question suivante : "Comment un bébé peut-il avoir des souvenirs ?" Sam vit, et ressent au travers de quelqu'un d'autre, par procuration, comme un foetus avec sa mère. Grâce à ce lien, à cette connexion, il apprendra lui aussi à se connecter aux autres, et par extension à reconnecter le monde. Toute la démarche de ressentir à nouveau et d'accepter la présence des autres dans sa propre vie se fait au travers d'un intermédiaire.


Il est temps de nous intéresser à la citation qui titre cette partie. "You'll feel lost". Hideo Kojima à tenu à préciser pendant la période de pré-launch (la période qui précède la sortie d'un jeu) que le joueur se sentirait "perdu".

Ce mot n'a pas été prononcé au hasard, car le sentiment d'abandon total que l'on ressent (on en a déjà parlé souvenez vous c'était il y a quelques lignes) est présent dès le départ.


Dans les menus, inutilement complexes, dans les différentes interfaces, chargées au possible, dans les décors, dénués de toute vie (même si l'environnement en lui même peut représenter une forme de "vie").

Egalement, au sein même des menus disponibles en jeu, il existe pléthore de sous-sous-sous menus, qui permettent de gérer tous les paramètres concernant vos colis.



Chaque livraison, ou "sortie" dans le monde extérieur peut être minutieusement préparée et anticipée. Ou au contraire vous pouvez complètement choisir de tout ignorer et passer chaque écran récapitulatif, au risque de passer à côté du propos et de l'intention du jeu, pour vous concentrer uniquement sur le gameplay.


Comme il était expliqué au début de cet article, Sam est atteint d'aphenphosmphobia, un mot vraiment très fun et très simple à prononcer. C'est une peur de l'intimité, du contact physique et tactile, et cette pathologie est aussi connue sous un nom plus simple, mais moins marrant, haphephobia.

Cela inclut également une peur d'être émotionnellement touché par quelqu'un. Dans le contexte de DS nous sommes parfaitement conscients de ce que cela représente, et pour le joueur, et pour Sam. Il est perdu au milieu des autres. Cela renforce encore plus le sentiment d'isolement, jusque dans les cinématiques où la mise en scène fabuleuse vient à nouveau nous jeter en pleine figure que Sam est seul, et qu'il refuse volontairement de se lier à d'autres.

Sam doit "porter la responsabilité" de la tâche qui lui a été confiée, au propre comme au figuré. Que nous incarnions un livreur au lieu du traditionnel "héros de jeu vidéo" capable de tout, et étant le protagoniste parfait n'est pas anodin, de même que son nom.


Sam est faible. Sam à peur, terriblement peur de ceux qui l'approchent. Et tout au long du jeu on retrouvera cette thématique "tactile".

Je pense particulièrement à la fameuse scène un brin ridicule (non carrément nanardesque n'ayons pas peur des mots) dans la douche, ou sous prétexte de ne pas être entendus ou remarqués, le personnage de Deadman établi un contact physique très TRES proche avec Sam.


Deadman, incarné par Guillermo Del Toro
Coucou

La solitude ressentie dans la surcharge cognitive imposée au joueur par les nombreux systèmes présents, est renforcée par la narration directe, et indirecte, que l'on nous fait de notre protagoniste, ainsi que de ses relations avec les autres.


Finalement, le seul lien "concret" que Sam partage, est avec BB.



"Partir, c'est mourir un peu"


Derrière cette maxime parfaitement adaptée au sujet traité (du poète Edmond Haraucourt, chose que j'ignorais), se trouve un des points les plus important de Death Stranding.

La mort est une composante essentielle du jeu. Sam étant un rapatrié, il possède la capacité de revenir d'entre les morts grâce à la grève. Dans DS, la grève est appelée "beach", globalement c'est une sorte de plage reliant le monde des vivants à celui des morts. Une fois passé de l'autre côté, le joueur passe en vue à la première personne, et se retrouve au fond de l'eau. Il peut voir les échoués (mais pas que, et pas tous) sous leur forme concrète, avant qu'ils ne soient morts, et se servir de leur cordon ombilical pour remonter à la surface, et revenir parmi les vivants.

Parfois on peut aussi apercevoir les corps d'autres joueurs, reliés à la surface via leur cordon ombilical, et également les entendre appeler Sam, action que vous pouvez réaliser dans le jeu vous même. En général personne ne vous répond ...


On a suffisamment constaté l'omniprésence des signes de la vie au sein du jeu, le fait même que nous portions un bébé accroché à notre ventre devrait donner assez d'indices pour savoir que jouer à Death Stranding est une expérience particulière, traitant de sujets sensibles, la vie, la mort, le deuil ...


Pour illustrer mon propos nous allons prendre le personnage de Mama, de son vrai nom Målingen, incarné par Margaret Qualley. Mama est également la soeur jumelle de Lockne. Ces deux sœurs sont, comme Sam, atteinte du DOOM, ce qui leur permet d'être entièrement consciente de leur connexion avec l'au-delà, et de pouvoir établir une forme de communication entre les mondes. Accrochez vous, on entre dans le dur des scénarios à la Kojima.


Mama et Lockne sont deux scientifiques ayant mis au point le réseau Chiral permettant de connecter tous les points clés du jeu entre eux, la partie hardware pour Mama, la partie software pour Lockne. Gardez en tête que ces deux sœurs sont comme "un seul esprit, dans deux corps".


Mama (en bas) et Lockne (en haut)

Lockne, au cours de ses travaux au sein de l'organisation Bridges, tombera amoureuse d'un homme qui décèdera dans un accident, laissant Lockne dans un état suicidaire et dépressif très lourd. Sentant la détresse de sa soeur Mama proposa à Lockne d'avoir un enfant. L'œuf de Lockne, et l'utérus de Mama en seront les deux composantes de création.

Durant une attaque terroriste, Mama se retrouvera enfouie sous les décombres du bâtiment dans lequel elle donnait naissance à l'enfant de Lockne, en pleine césarienne.

Elle put survivre car elle à en même temps donné naissance à cet enfant (une fille) "de l'autre côté", sur la grève, concept que nous avons abordé plus haut.


Se retrouvant liée à cet enfant mort-né grâce au cordon ombilical permettant de relier les échoués au monde des vivants, Mama fut changée à jamais, et pu continuer à vivre, à condition qu'elle reste liée à cet enfant, ce qui incluait le fait de couper le lien indéfectible qu'elle entretenait avec sa sœur.


Lorsque Sam la rencontre, Mama accepte sa requête, de se lier à nouveau à sa sœur dans le but d'améliorer le réseau Chiral, afin d'aider Sam à accomplir sa tâche... Cette volonté de se lier à nouveau à Lockne demandera cependant à Mama de sacrifier le lien qui l'unit à leur fille, et donc de risquer sa vie. Ce geste étant impossible à réaliser pour une mère (Mama accepte tout de même de littéralement couper le cordon avec sa fille mort-née, et ainsi mettre sa propre existence en balance), Sam s'en verra confié la responsabilité.

S'en suit une séquence de gameplay qui m'a particulièrement touché, accompagnée d'une bande son absolument incroyable composée par Ludvig Forssell (le morceau "The severed bond" qui est joué lors de cette scène est un pur bijou) qui viendra pousser le joueur au fond de son canapé. Sam devra couper le cordon qui relie Mama à sa fille à l'aide de ses menottes chirales, et ce sera au joueur d'appuyer sur la touche correspondante.



A la suite de cette phase, Mama sera hospitalisée et remise sur pieds pour finalement se lier à l'esprit de Lockne, pour ne plus former qu'une seule et même personne. Cette dualité, et cette connexion se manifeste physiquement par le fait que Mama/Lockne possède un œil de la couleur de chacune des deux sœurs. Observez également la façon dont elle croise les mains lors de la "réunification".



Mama donnera ensuite comme récompense au joueur la possibilité de fabriquer des tyroliennes, un appareil permettant de relier un point A, à un Point B, à l'aide d'un câble ... D'un cordon.

La thématique de la connexion, du cordon reliant deux points se retrouve jusque dans des éléments de gameplay accordés au joueur, et c'est en ce point précis que le propos narratif est servi par des situations de gameplay et des intentions de jeu.


Il serait temps de conclure


Je crois qu'on a fait le tour, ou du moins abordé les grandes lignes ... Peut-être que certains d'entre vous trouverons cette analyse trop tirée par les cheveux, peut-être que si vous la lisez en entier (merci, c'était pas facile) vous la trouverez beaucoup trop longue, et que vous aurez vous aussi des arguments pour contrer mon propos, estimer que Death Stranding est juste un walking simulator raté avec une gestion de la physique anarchique, et un propos narratif tellement cryptique qu'il en devient incompréhensible.


Et vous auriez raison ! Soyons honnêtes ... C'est du Kojima tout craché, inutilement complexe, verbeux, obscur, on ne comprend RIEN, il faut lire des centaines et des centaines de mails, de documents, fouiller le moindre petit recoin, aller dans chaque endroit possible et écouter la moindre ligne de dialogue pour arriver à capter ne serait-ce qu'un tout petit fragment de scénario autre que celui qui nous est jeté en pleine face.


Et encore, nous n'avons pas parlé du personnage d'Amelie, ni de Higgs, ou de Heartman,


ni du principe de "ka/ha", ni abordé les thèmes des grèves en profondeur, ni parlé de la fameuse scène de fin lorsque Sam et Amelie sautillent joyeusement sur la plage ... il y aurait encore beaucoup de choses à dire.


Il faut se rendre à l'évidence, l'histoire de Death Stranding peut être résumée en une seule ligne : Il faut sauver la princesse.

Mais toutes les histoires du monde peuvent être résumée en une seule phrase, c'est d'ailleurs ce qui fait toute la profondeur des œuvres les plus marquantes. Dans Call of Duty, il faut tuer les méchants. Dans Tomb Raider, il faut trouver des trésors. Dans Terminator, il faut sauver le futur.

Dans Diablo, il faut éradiquer le mal.

Dans Metal Gear Solid, il faut éviter une guerre nucléaire.

Dans Super Mario, il faut sauver la princesse.


Toutes les œuvres, que ce soient des films, des livres, des jeux vidéos, ont une histoire à raconter.


L'important, c'est de connecter les points.



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